Biographie Ne peindre que sous l'influence d'une émotion.
(Agenda d'Emile Cossey ; 2 juin 1958)
Peintre sans notoriété, disparu discrètement, presque à son propre insu,
en 1980 ; opéré à l'âge de quatre ans, à Bruges (Brugge), par un chirurgien
boucher, d'un strabisme de l'œil droit, mais si mal que ce dernier
n'interviendra pratiquement plus dans la vision ; connu seulement de ses
proches, d'amis, des quelques personnes qui, aux heures de disette de
1940-1945, lui achetèrent ses pastels ; à ce point possédé par la joie
de peindre que se séparer de l'une de ses œuvres le peinait tout comme
la perte d'un compagnon ; n'ayant jamais exposé ; ne se réclamant
d'aucune école, ne fréquentant aucun cénacle ; travaillant pour vivre
mais vivant pour peindre ; se défiant instinctivement des subtiles
obligations qui pèsent sur la professionnalisation de l'art mais
s'imposant, au plus profond de sa conscience, dès ses premiers essais,
d'échapper à la médiocrité et ne s'accordant jamais licence d'être
absolument satisfait ; créateur, enfin, d'une manière et d'une technique
très personnelles, Emile Cossey, né à Adinkerke (Flandre occidentale,
Belgique) le 31 décembre 1887, appartient davantage à ce siècle qui le
vit naître qu'au XXème siècle où il vécut cependant quatre-vingts ans. Les Etats-Unis d'Amérique De
son père, douanier, issu de fermiers enracinés dans les terres qui
règnent au pied du Mont Kemmel – point culminant (156 m) de la province
de Flandre occidentale – Emile hérite la curiosité intellectuelle et ce
poids intérieur sur quoi s'appuient certains êtres et qui ne s'acquiert
pas. Pour le reste, et au physique, Emile ressemble à sa mère, Julie
Devos, qui disparaît en laissant quatre enfants le 1er mars 1902.
Désorganisée, la famille s'égaille. Emile, via Le Havre et Cherbourg,
quitte l'Europe en 1905, aboutit à Fairfield aux Etats-Unis, dans le New
Jersey, puis à Duluth (Minnesota) avant de connaître, avec les siens, la
faillite d'une tentative d'autarcie dans l'Itasca. Mais Fairfield, la
Passaic River, le "swamp", le Lac supérieur, l'incomparable et riche
silence des étendues s'emparent de cet adolescent qui, à Adinkerke déjà,
enfant, pilait des briques dans de l'eau pour en faire des couleurs et
qui, maintenant, les achète à Patterson pour se livrer à des esquisses
qui ne trouveront de lendemain que lorsque, âgé, le peintre évoquera de
mémoire, au pastel ou à l'aquarelle, ces lieux à jamais perdus des
années 1905-1911. Le 1er mars de cette année 1911 il quitte à jamais les
U.S.A., alourdi de regrets mais aussi du savoir qu'a dispensé à cet
esprit affamé la riche bibliothèque publique de Duluth où Cossey, seul,
s'attacha à combler les lacunes d'une éducation scolaire interrompue au
niveau primaire. La première guerre mondiale Il
parle trois langues, couramment, l'homme de vingt-quatre ans qui
s'inscrit, en 1911, à l'Académie royale des Beaux-Arts d'Anvers
(Antwerpen) où, tout aussi vainement qu'à Roubaix, à l'Ecole des
Beaux-Arts de laquelle il s'était inscrit en 1902, il aspire à une
formation de paysagiste. Aussi est-ce tout seul qu'il multiplie les
croquis au crayon dans cette périphérie anversoise où il vit plus mal
que bien, exerçant la profession de peintre... en bâtiment. (Il fut
manœuvre aux U.S.A.) Mais il lit. Il lit de tout énormément. Il possède
ce goût physique du livre, que cultive aussi son père, à Ypres (Ieper)
où il habite – et où il voit sa maison, dévastée par les bombardements,
en 1914, mise au pillage par les soldats alliés qui regagnent le front
proche, les livres de sa bibliothèque sous le bras. Emile, lui, à
Calais, où lui est concédé le statut de réfugié (avec tant d'autres),
est incorporé au contigent militaire spécial en 1916. Il ne quittera
l'uniforme d'artilleur (téléphoniste) qu'en 1919. En deux années
d'enfer, il échappe onze fois à la mort. Le 14 août 1919, il épouse
Fernande Vandevyver, née le 1er mars 1893.
Un peintre du XIXème siècle Ils
habitent Schaerbeek, qu'ils ne quitteront qu'en 1961. Cossey y hante le
parc Josaphat, très beau, paisible, d'accès aisé, puis, régulièrement et
de plus en plus systématiquement, la forêt de Soignes. La naissance de
deux fils ; un séjour à Cannes, de 1923 à 1925 ; un autre, seul, au
Portugal, en 1935 ; la recherche, parfois, d'un emploi ; l'engagement,
en 1936, au service technique du quotidien "Het Laatste Nieuws" où il
travaillera jusqu'à sa retraite, en 1954 ; la seconde guerre mondiale ;
la déportation de son fils aîné et la destruction du logement d'Emile
par une bombe volante en 1945, plus rien, désormais, ne viendra
affaiblir l'élan qui pousse cet homme à vouloir transférer sur le
papier ou la toile, par le trait et la couleur, l'émotion païenne qui
l'étreint devant l'un de ces instants, souvent fugitifs, où se combinent
luxueusement, pour la jouissance privilégiée de l'esprit en éveil,
réceptivité intérieure, formes et lumière de la nature. C'est par là,
essentiellement, que Cossey est un peintre du XIXème siècle.
L'intellectualisation de son besoin psychique et physique de peindre ne
sera jamais son fait.
Forêt de Soignes et Provence Vus à distance, les événements qui émaillent cette vie y font figure d'anecdotes, quelque poids qu'ils exercent sur les conditions d'existence de Cossey. Le souci de la notoriété l'effleure à peine ; au demeurant, celle-ci l'encombrerait plutôt, lui imposant de prendre en compte des obligations qui le distrairaient de son plaisir – mieux, de son bon plaisir. Il
vit plus que simplement, bien que toujours soucieux de l'essentiel,
ignorant le superflu. Ce dont il souffrira si longtemps, ce qui si
longtemps sera sa hantise, c'est le manque de lumière, celle qui lui
fait tant défaut dans son étroit logement du 8 de la rue Hoste, à
Schaerbeek. Il le quitte donc le plus souvent possible : pour la forêt
de Soignes surtout, qu'il parcourt en tous sens ; pour le Brabant aussi,
en compagnie du peintre russe Ossip Siniaver. La paix revenue, ces
années de 1945 à 1960 constituent la grande époque du peintre, celle où
il affirme le mieux sa technique très personnelle, celle aussi où cinq
séjours en Provence, seul (à l'exception de celui de 1959, qu'il
effectue avec son épouse), dans le Var et dans les
Alpes-de-Haute-Provence (1955, 1957, 1958, 1960), lui apportent de
nouveaux motifs d'enthousiasme.
(Agenda d'Emile Cossey ; 27 décembre 1958) Houtain-le-Val Et
sans doute le contact avec ces horizons contribue-t-il à inciter les
Cossey à quitter Schaerbeek devenu (comme tant de communes belges
depuis) la proie d'une population qui se complaît dans le bruit et les
mœurs grégaires. C'est à Houtain-le-Val, en Brabant wallon, que
s'installe Cossey en 1961. Il y loue une modeste maison dans laquelle il
aménage – enfin ! – son atelier. Là, il goûte le déroulement campagnard
des saisons, le calme profond des nuits, le chant du vent dans les
poêles à charbon qu'il entretient lui-même, le plaisir de cultiver un
potager, de "faire son bois". C'est à Houtain qu'il retravaillera ses
Mémoires, entrepris en 1956 (source inestimable d'informations, avec les
agendas très précis du peintre, pour suivre son cheminement). C'est à
Houtain aussi qu'il développera au pastel de multiples notes – des
croquis chiffrés notamment – avant de se tourner très sérieusement vers
la peinture à l'huile, dont il ne maîtrisera cependant jamais la
technique, faute de temps.
L'ultime détachement Car il a 74 ans en 1961 et la santé de son épouse, atteinte de polyarthrite rhumatoïde, va s'aggravant. Secouru en 1977 par une aide familiale qui deviendra une amie, Mme Anne-Marie Collette, il se consacre de plus en plus aux soins requis par une épouse que la souffrance et l'âge rendent souvent acariâtre. Le 17 juillet 1978, avec un jeune ami, Stéphane Lauriers, Cossey rend une ultime visite à la forêt de Soignes et exécute sur place un pastel. Le 15 août 1979, Fernande et son époux voient fêter chez eux leur soixantième anniversaire de mariage.
Mais Emile s'épuise ; il souffre de vertiges de plus en plus fréquents,
mobilisant cependant toute l'énergie d'un organisme étonnamment
résistant pour combattre une lassitude qui ne l'abandonne plus et dont
ses notes d'agendas font foi. Le 11 juin 1980, après deux chutes qui lui
ont blessé le visage, il admet le principe d'un repos réparateur à la
clinique de Nivelles, où il entre avec son épouse, désormais impotente,
le vendredi 13 juin. Il s'y éteint le 10 juillet, jour de l'enterrement
de son épouse, décédée le lundi 7 juillet, dans la chambre qu'elle
partageait avec lui. A la demande du peintre une petite huile sur bois,
qu'il exécuta en 1970 et représentant le cap de la Hève, ornait sa
chambre. Emile et Fernande reposent côte à côte dans le cimetière de Houtain-le-Val.
Maurice Cossey
9 avril 2005
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